Notre travail influence notre Être.
- lucebarrault
- 21 oct. 2023
- 7 min de lecture
C’est sans doute dire une évidence que d’énoncer que les conditions de travail ont une grande influence sur notre qualité de vie en général. Mais cela va bien au-delà…

Cet article sera plus personnel que ceux que j’ai rédigés jusque là. Ce que j’ai récemment entendu sur moi m’a mise en réflexion, et je souhaiterai partager cette réflexion ici.
Ces derniers temps, plusieurs personnes ont pu me dire que j’étais une belle personne, qu’on avait plaisir à fréquenter, que je dégageais une belle énergie, que mes paroles étaient enrichissantes – bref, que j’apportais quelque chose aux autres, presque malgré moi, juste en étant celle que je suis.
Au-delà de la flatterie de mon ego, cela m’a fait beaucoup sourire : il y a 18 mois, ce que l’on disait de moi était bien éloigné. J’avais une réputation de personne irascible, difficile, avec un sale caractère, et l’on me fuyait dès qu’on le pouvait.
Ai-je vraiment changé tant que cela ??
Où le miracle a-t-il eu lieu ?
Je vais vous confier un secret : en fait, je n’ai pas changé.
Ce qui a changé, c’est mon vécu intérieur, l’atmosphère en moi.
Il y a 18 mois, je travaillais dans un établissement médico-social qui accueillait des personnes handicapées, j’étais ergothérapeute. J’ai exercé cette profession pendant plus de 35 ans, toujours en tant que salariée. La raison pour laquelle j’avais choisi cette profession m’a toujours motivée, mais les conditions d’exercice de celle-ci ont dégénéré. Dans ce cas comme dans bien d’autres, hélas…
Regard sur mon chemin

A l’origine, j’avais choisi l’ergothérapie parce que l’humain m’intéressait, et parce que je voulais aider. J’avais eu l’occasion de voir une ergothérapeute travailler, et j’avais trouvé cela intéressant : utiliser l’activité pour rééduquer sans en avoir l’air, intégrer dans une même dynamique psychologie et motricité, adapter ce que l’on propose à la personne en face de soi et à sa façon de vivre, tout cela me parlait profondément.
Au début, c’était comme cela, effectivement, et cela me convenait parfaitement. Progressivement, au fil des postes, les choses ont commencé à changer. On me demandait de plus en plus de choses, et des choses qui n’avaient pas forcément à voir avec l’ergothérapie. Ou alors, on réduisait la fonction d’ergothérapeute à "celle qui s’occupe du matériel adapté", ce qui signifiait accompagner les orthopédistes à réaliser leurs mesures, ou réparer les cale-pieds défectueux des fauteuils roulants, ou commander des tapis antidérapants pour les repas. Le matériel ne m’a jamais intéressée – moi, c’est l’humain qui m’intéresse. Mais cela ne pouvait pas se dire, parce que « ça fait quand même partie de ton boulot », comme on ne se faisait jamais l’économie de me renvoyer. Certes, mais ce n’était pas l’intégralité de mon boulot, du moins pas tel que je le concevais. Et puis, il y a eu plein d’autres choses : des tâches qui se rajoutaient, des saisies sur l’ordinateur qui prenaient un temps infini, des actes qui n’avaient d’autres but que d’être OK si on était contrôlés, des réunions qui se multipliaient à l’infini, des fonctions qui se rajoutaient sans qu’on n’ait rien à en dire, des paroles discréditées, parfois même des mises au placard parce qu’il semblait que je ne servais à rien… En fait, le travail que je faisais à la fin n’avait plus rien à voir avec celui que j’avais choisi. Je n’avais quasiment plus le temps d’accompagner la personne vers ses besoins.

A un moment de ma carrière, j’ai craqué. J’ai fait une grave dépression, qui m’a amenée à être hospitalisée et à vivre les choses de l’autre côté. Cela a été particulièrement violent. La maltraitance (j’ose le mot) dont on était victime, le déni de notre identité, de nos particularités, de nos souffrances, au nom du fonctionnement du service qui nous accompagnait, étaient juste insupportables. Cela m’a renvoyée à ce que l’on faisait, là où je travaillais – pas si différent que ce dont j’étais témoin, en fait, et cela m’a profondément déçue.
J’ai décidé de me faire une formation qui me permettrait d’être au plus près de ce que je souhaitais apporter à l’autre. Une formation qui m’aiderait, aussi. J’ai choisi celle pour être psychothérapeute, et je ne l’ai pas regrettée. C’était vraiment intéressant, et concret, et j’ai vu comment je pouvais à la fois aider et être aidée. Il n’y avait pas de doutes : c’est ainsi que je voulais agir pour les autres.
Mais il y a ce que l’on souhaite, et les contraintes de la vie matérielle. J’étais maman solo avec deux adolescents, et les soucis financiers ne m’ont pas permis de vraiment m’installer comme thérapeute. J’avais besoin d’une stabilité de revenus. J’ai quand même eu un cabinet pendant quelque temps, en plus de mon activité salariée, mais les frais qu’il a engendrés m’ont découragée. Et puis, le dernier poste que j’ai occupé comme ergothérapeute me prenait trop d’énergie pour que je mène de front les deux activités.
Cette situation ne me satisfaisait pas, mais je faisais avec. J’avais régulièrement des "rechutes" de dépression, parfois des lombalgies sévères, des épisodes de vertiges et d’étourdissements, mais qui n’a pas ses petites misères ?

Regard sur ces derniers mois
Vous dire que cela a été facile serait vous mentir.
J’ai eu des millions de questions, de doutes, d’hésitations, d’incertitudes. J’ai tâtonné, j’ai essayé, je me suis trompée, j’ai recommencé. J’en suis encore là. Mes revenus ont subi une chute conséquente – heureusement, mes enfants ont grandi, et les besoins ont évolué. Je ne suis pas au bout de mes peines : chaque jour, je m’interroge. L’accompagnement des personnes est une chose, le développement de ce que je dois appeler une entreprise en est une autre.
Mais je me sens mieux en moi, apaisée. Je n’ai plus de phases dépressives, ni de vertiges, ni de lombalgies.
Ce que je fais a du sens, et je m’y retrouve.
Ce que je vis est mon choix, dans son intégralité.
Mon rythme de vie quotidien est en adéquation avec ce que je souhaite, et je ne fais rien avec lequel je ne suis pas d’accord.
Je suis le chef à bord de moi-même, ce qui est bien le moins. SI j’ai une contrainte (un rendez-vous, par exemple), ou une envie (une balade, un café avec une amie), j’adapte mon planning en fonction. Je n’ai pas de comptes à rendre.
Écouter les personnes qui viennent me voir, les guider vers leurs émotions, vers leur vérité, est formidablement intéressant.
Faire des soins énergétiques, laisser le tambour chamanique transformer mon état de conscience et me guider vers une réceptivité d’informations qui soulagent les personnes qui me font confiance est incroyable.
Accompagner les gens vers la pratique de la méditation est formidable. Les échanges lors de ces ateliers sont nourrissants au-delà de mes espérances.
Permettre des voyages chamaniques est incroyable.
Animer des « cause-cafés », des sortes de cafés-psychos, est très chouette aussi. Échanger, réfléchir ensemble, discuter, plaisanter, ce n’est pas du travail, ça !!!

Et j’ai des idées, encore et encore, pour d’autres ateliers, pour d’autres propositions. C’est comme si plus j’en faisais, plus j’avais envie d’en faire…
Mais qu’en retenir ?
Je vous ai largement parlé de mon expérience. Mais, au fond, où cela nous mène-t-il ?
Certainement pas à l’idée que le salariat est tout pourri et l’entreprise libérale parfaite !
Et encore moins que la solution, pour aller bien, est de s’installer comme thérapeute !!!
Non, ce que je voulais pointer, c’est qu’à faire un travail qui ne nous correspond pas (ou plus), on s’épuise. On oublie ce qui nous motive, et on se perd de vue soi-même.
Bien sûr, "gagner son pain", comme on disait jadis, c’est une motivation. Si on est OK avec ça, et que l’on sait que c’est pour cela que l’on va travailler, et uniquement pour cela, on peut accepter beaucoup.
En fait, l’essentiel est de trouver du sens à ce que l’on fait. Et ce qui complexifie les choses, c’est que souvent, il y a plusieurs raisons à ce que l’on fait…
Il y a la raison financière, il y a le plaisir à travailler une matière, à argumenter dans un échange, à plaisanter avec un collègue, il y a le souhait de véhiculer des valeurs, il y a le désir d’aider, ou de convaincre, de gérer, de soigner, de construire, de réparer, de résoudre des problèmes, que sais-je encore ?
Mais il est bien rare qu’il n’y ait que du plaisir dans le travail, assorti de celui d’avoir un revenu grâce à lui.
Ma propre expérience témoigne du fait que le travail salarial m’a fait payer bien cher la contrepartie de la sécurité financière – sécurité qui n’est pas toujours incroyable au niveau du montant, mais qui a au moins le mérite d’être régulière. Au nom de cela, on m’a tordue dans tous les sens, le nombre de tâches qui semblaient attachées à ma profession ne cessait d’augmenter, je me suis retrouvée noyée dans des tâches qui n’auraient dû n’être qu’annexes (les réunions, les réparations, les saisies informatiques, les lectures de transmission, les commandes, les accompagnements d’autres professionnels, etc.) et j’ai perdu le sens premier de mon travail. De plus – c’est en tout cas ce que j’ai vécu ces dernières années – chacun étant soumis au même régime, il n’y avait aucun soutien de la part des autres salariés, y compris de la direction (qui elle-même était prise dans des tâches qui la dépassaient de plus en plus). Et ma charge mentale n’a fait qu’augmenter, ce qui non seulement avait des conséquences sur mon amabilité mais aussi sur ma santé. Je faisais de mon mieux, du moins au niveau de l’accomplissement de ce que l’on me demandait, mais je souffrais. Et cette souffrance faisait que je n’étais pas le meilleur de moi-même.
Combien de personnes ramènent à la maison le malaise, la colère, la mauvaise humeur, dus à leur travail ? Combien de tensions familiales sont dues aux conditions de travail ? Combien de dépressions, de maux physiques, de maladies ??

Il est pourtant très dans l’air du temps de parler de "qualité de vie au travail", de "prévention des risques professionnels", de promouvoir quelques activités "bien-être" pour les salariés d’une entreprise. C’est un des paradoxes du système : pendant que les conditions se détériorent de façon pernicieuse, on met en avant que l’on se préoccupe du bien-être de chacun dans l’entreprise. Mais ces concepts ne sont que des tâches en plus, en fait, pas une véritable prise en compte des besoins des travailleurs. Je ne dis pas qu’il est désagréable d’avoir une séance de relaxation ou de shiatsu, ou même que l’on puisse s’exprimer sur nos ressentis de l’ambiance de l’entreprise, je pose simplement là que, à mon sens, ce n’est pas la racine du problème.
Je suis à présent dans cette situation hyper privilégiée où j’ai choisi de faire un travail qui me plaît, où chaque acte que je pose a du sens, où je travaille à mon rythme.

Chacun de ces trois points est fondamental :
- Faire un travail qui plaît.
- Connaître le sens de chaque tâche.
- Respecter son rythme.
Bien sûr, j’ai aussi subi quelques pertes.
Quand je fais le bilan, je dirais que j’ai perdu sur deux tableaux : en revenus, et en plaisir d’échanges avec les collègues.
J’ai gagné sur tout le reste.
Surtout, surtout, j’ai gagné en paix intérieure. Je me sens enfin en accord avec moi-même.
Et j’ai l’impression d’être enfin celle que je suis.
D’être mon Être.

Est-ce que le travail mérite qu’on y laisse sa peau ?
Son Être ?
Luce Barrault
Octobre 2023
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